Qui se cache derrière ces lunettes épaisses de gendre idéal ? D'où vient ce regard malicieux et assuré ? De l'enfant pas si sage qu'il n'a jamais cessé d'être ? Indiscipliné, Yves Canarelli ? Il bouscule les codes insulaires, rejette les raisonnements tracés et ne marche pas dans des sillons profonds, c'est sûr. Ce précurseur est de ceux qui ne se donnent qu'à une seule discipline : la leur. En homme audacieux et intuitif, il sera l'un des tout premiers à élever ses vins sous bois et invente dans la foulée une tradition. Et comme le dit Le Corbusier : « En inventant une tradition, [il] invente son époque.» La génération Yves Canarelli, c'est un courant qui ne s'interdit rien, pas même d'explorer perpétuellement les champs du possible, vastes et vertigineux, la clé de tous les grands vins du monde. Une génération qui appréhende très vite les enjeux du vignoble corse en renvoyant ce message fort : se différencier ou mourir. La Corse n'aura pas d'autre choix : elle devra faire sa révolution.

C'est avec discrétion et la maturité d'un avant-coureur que ce vigneron calme et paisible impulse à toute une mouvance de quadras le sens du jeu et libère les comportements. C'est d'abord à la vigne que la révolution commence. S'inspirant, comme Antoine Arena, de grands domaines bourguignons, il ose une approche homéopathique et souhaite des sols plus équilibrés. Très vite, la biodynamie s'installe chez lui et, contre vents et marées, le résultat prévaut sur bien des doutes. C'est «au» chai que l'on trouve la seconde manifestation: une cave qui tient plus d'une cathédrale que d'une chapelle, fût-elle de chambertin. Un espace hybride entre l'archétype rhodanien, l'idéal bourguignon et le rationnel bordelais. En éternel grand voyageur, il s'inspire de ce qui lui semble être le plus juste et crée un outil élémentaire qui sera pour beaucoup un modèle incontestable. En avance encore lorsqu'il s'agit d'éprouver tous les types de contenants possibles, en particulier l'amphore et les grands foudres des Grecs et des Romains. C'est bien là toute l'histoire de ce vigneron passionnant : il duplique avec une approche plus sensitive que scientifique tout ce que ses lectures ou voyages lui a apporté. Comme en cuisine, en pâtisserie, tout semble avoir été inventé, c'est donc dans des interstices de plus en plus minces que les vrais créateurs d'aujourd'hui s'expriment et réussissent. De réussite chez Yves, il n'en est jamais question et, en homme pertinent, raisonnable et chercheur, il sait très bien que le grand vin est celui qui reste à inventer. Son grand vin à lui, c'est sur un vieux vignoble oublié, une parcelle de calcaire, innocente mais prometteuse, qu'il compte le trouver. Promesse du don que tout grand vigneron cherche, le plaisir ultime ! Mais pour l'instant et pour quelque temps encore, le meilleur moment pour Yves n'est-il pas, comme dit Sacha Guitry, «de monter les espaliers» ?

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